Friday, December 09, 2005
L'abattoir de Lezoux
Ayant vu des films de PETA et des centaines de photos, ayant écouté les expériences de Lesley d'Animals Angels, ayant lu des tonnes d'articles, j'étais prête pour le pire.
La ville: Lezoux, petite ville entourée de paysages de rêve. En effet, je me suis souvent promenée dans la région, sans jamais mettre le pied dans Lezoux. La ville est assez jolie, on peut imaginer que ça fait bon d'y vivre.
L'abattoir: Situé à l'extérieur de la ville, ça ressemble plutôt à un club hippique vu de l'extérieur. Entrés dans la cour, on se gare devant les bureaux, qui portent un dessin en peinture bleue d'une vache, d'un mouton et d'un cochon souriant (pourquoi les cochons sont-ils toujours souriants?) On se rend compte vite que ce n'est pas un club hippique.
Le boucher: Monsieur T est complètement aimable, raisonnable et bien informé. Il va nous montrer son abattoir d'une façon professionnelle. Sa pédagogie est excellente. Pourquoi est-il devenu boucher et non professeur d'histoire-géo?
Ce qui suit est selon ma mémoire, je n'ai pris ni notes, ni photos.
L'abattoir de Lezoux a été fermé pendant quelques années, jusqu'à sa ré-ouverture par une société dirigée par des paysans et des bouchers de la région. Monsieur T est un des dirigeants. Il souligne la qualité de son travail: il choisit ses bêtes chez des éleveurs locaux, peut-être eux aussi dirigeants de l'abattoir. La souffrance des animaux est contre ses intérêts: s'il a payé le prix du marché pour un charolais, il veut que l'animal arrive à l'abattoir en bonne santé. Si un bovin, par exemple, arrive avec une patte cassée, c'est autant de viande non utilisable. Donc, il va perdre de l'argent. Puisque tous les animaux sont élevés dans la région, les trajets de l'élevage jusqu'à l'abattoir sont courts, une demi-heure maximum, ce qui réduit les risques d'accident ou de blessure.
Nous traversons la cour, qui est grande pour laisser de la place aux camions. A trois heures de l'après-midi il n'y a plus de camions, seulement de la silence. A l'horizon on peut voir les Monts du Forez, déjà couverts de neige. Sur les bâtiments en face les mots BOVINS et OVINS sont écrits. La visite va commencer par l'arrivée des bêtes.
En même temps que je le remarque, Monsieur T. m'indique le quai surélevé au niveau d'un camion, pour que les animaux ne descendent pas une rampe trop raide. L'arrivée est faite en douceur. Ils passent dans des couloirs selon leur espèce. Il y a une chaine d'abattage différente pour les cochons, pour les moutons, pour les veaux, et pour les grands animaux, bovins et chevaux. On tue très peu de chevaux ici. Il y a une boucherie chevaline à Lezoux, mais le boucher achète des carcasses ailleurs. Les petits animaux passent dans des enclos, les bovins attendent leur tour pour monter dans une sorte d'enclos métallique étroit.
Près de l'entrée se trouve une pièce où on tue les animaux en urgence. Il y a une espèce de brancard métallique sur roues, sur lequel on amène un animal blessé ou trop malade pour marcher. Déjà je suis impressionnée, après avoir lu les histoires de PETA des vaches non-ambulatoires abandonnées à une longue agonie dans la cour de l'abattoir.....
Nous sortons pour passer dans la partie du bâtiment où on tue les bêtes. On met des vêtements de protection (pour nous protéger, aussi bien que pour protéger l'abattoir). Charlotte, blouse et protège-chaussures jetables. On passe dans les chambres froides pour admirer les carcasses de charolais fraichement tués. Ils sont énormes ces animaux, des mammouths. Pendant un instant j'imagine nos ancêtres en train de tuer un mammouth, puis je vois la carcasse du charolais. Mammouth, charolais, mammouth, charolais...... Mon retour dans le passé s'arrête quand je vois par terre une paire d'oreilles. De charolais. On garde les oreilles pour des raisons de vache folle, comme preuve de non-folie. Nous entrons dans une chambre où sont pendus les petits corps des cochons, corps blancs et délicats commes les femmes de Barbe Bleue.
De retour aux bovins. On voit de l'autre côté l'enclos métallique étroit où on les tue. Le tueur est en face avec son pistolet. La tête de l'animal immobilisé sort de l'enclos. Une tige de métal pénêtre son crane, l'animal tombe en même temps que
le côté de l'enclos s'ouvre. Le corps glisse vers l'extérieur, on le soulève avec des chaines attachées aux pattes, et on le saigne. Ensuite il passe dans un autre endroit où on le dépèce. Je pense aux histoires de PETA où les vaches sont écorchées vivantes. Selon Monsieur T, ça ne peut pas arriver, au moins dans son abattoir. Il dit que c'est quasiment impossible que l'animal n'est pas tué par le pistolet.
(Ici je pense à Brigitte Bardot, qui, toujours jeune vedette du cinéma, allait être reçue par le président de la république (De Gaulle?). Les gardes l'ont empêchée d'entrer dans le palais de l'Elysée quand ils ont trouvé un pistolet d'abattage dans son sac à main. Elle voulait montrer au président pourquoi cette méthode de tuer devrait être utilisé dans les abattoirs français, que c'était un grand pas en avant pour le bien-être animal. Cette histoire, est-elle vraie ou bien est-ce que je l'ai inventée?)
Près de l'endroit où on tue les bovins se trouve une longue ligne d'enclos métalliques, comme des boxes à cheval mais très étroits, ne laissant pas de place pour se retourner. C'est ici que, vers 17 heures, on reçoit les bovins qui seront tués le lendemain. Ils ont de l'eau, mais ni nourriture, ni paille pour leur confort. Une longue nuit froide, angoissante. Monsieur T. explique: C'est la DSV (la Direction départementale des services vétérinaires) qui exige la présence des bovins la veille de leur abattage, pour qu'elle puisse faire des contrôles sanitaires pour détecter la présence de la maladie ESB (vache folle). Cependant, la DSV ne vient jamais faire des contrôles pour l'ESB. Cette souffrance supplémentaire est aussi inutile que cruelle. Pourquoi pas de nourriture? Ah, c'est mieux pour la bête être tuée à jeun, sinon sa mort peut être plus douloureuse. (Ce soir-là j'ai demandé à mes élèves d'anglais, des médecins, comment le fait de ne pas être à jeun rendrait la mort plus douloureuse. Ils ont rigolé; pour eux, c'est simplement une excuse de ne pas donner à manger aux animaux.)
Les seuls animaux vivants qu'on a vu dans cet abattoir, c'étaient des agneaux. On les a entendus avant de les voir, leur petites voix d'enfants appeurés levées vers un dieu sans pitié. Deux enclos pleins d'animaux. Ils ont entre 4 et 6 mois. Dans le premier enclos, un mâle essaie de faire l'amour avec tous ses congénères, qui ne partagent pas ses enthousiasmes. A six mois ils ne sont plus de petits agneaux, ils ressemblent plutôt aux adultes. Ils doivent passer la nuit à l'abattoir parce qu'on n'a pas eu le temps de les tuer aujourd'hui. On ne peut pas demander aux ouvriers de faire des heures supplémentaires. Plusieurs animaux sont couchés par terre, sur le beton. Il fera froid cette nuit, on ne pourrait pas mettre de la paille? Mais non, la DSV interdit la paille, ce n'est pas propre. On avait essayé de mettre de la sciure, mais la DSV ne l'a pas aimée non plus. De toute façon, leurs corps vont rechauffer le béton. Vous croyez ça vraiment Monsieur T? Ils ont de l'eau, mais comme les bovins, rien à manger, pour une mort plus pure. Une mort qui commencera par 4 ou 5 agneaux ensemble dans un enclos, on les attrapera un par un pour les étourdir avec des pinces électriques de chaque côté de la tête. La bible interdit de tuer un animal devant ses congénères. Pour les moutons c'est difficile de les séparer. Souvent les hommes qui transportent les moutons ont un mouton apprivoisé, qui mène les autres vers la mort. Je pense aux prisonniers dans les camps de concentration qui étaient obligés d'aider les Nazis. Ils ont fini dans les chambres à gaz aussi, comme le mouton traître finira sans doute égorgé.
On arrive à la fin de notre visite, et je me rappelle que je n'ai pas parlé du sang. On est arrivé à l'heure du nettoyage, un seul ouvrier est chargé de faire disparaître toutes les traces de la mort. Il chasse le sang avec un tuyau d'arrosage et beaucoup de désinfectant. A la fin de la visite il a fini son travail, quel abattoir propre! Cependant, l'odeur du sang est difficile à oublier.
Après ma visite à Lezoux, j'avais vraiment l'impression que ça doit être le meilleur abattoir du monde, peut-être parce que je n'ai pas vu d'animaux tués, et parce que Monsieur T. a su ne montrer que ses meilleurs aspects. En même temps, chaque moment de ma visite, j'étais consciente qu'ici on vole des vies. Même si leur mort est aussi rapide que possible, les animaux n'ont pas donné leur accord.
Merci quand même, Monsieur T., d'avoir pris le temps d'expliquer votre travail à une végétarienne ingrate.
La ville: Lezoux, petite ville entourée de paysages de rêve. En effet, je me suis souvent promenée dans la région, sans jamais mettre le pied dans Lezoux. La ville est assez jolie, on peut imaginer que ça fait bon d'y vivre.
L'abattoir: Situé à l'extérieur de la ville, ça ressemble plutôt à un club hippique vu de l'extérieur. Entrés dans la cour, on se gare devant les bureaux, qui portent un dessin en peinture bleue d'une vache, d'un mouton et d'un cochon souriant (pourquoi les cochons sont-ils toujours souriants?) On se rend compte vite que ce n'est pas un club hippique.
Le boucher: Monsieur T est complètement aimable, raisonnable et bien informé. Il va nous montrer son abattoir d'une façon professionnelle. Sa pédagogie est excellente. Pourquoi est-il devenu boucher et non professeur d'histoire-géo?
Ce qui suit est selon ma mémoire, je n'ai pris ni notes, ni photos.
L'abattoir de Lezoux a été fermé pendant quelques années, jusqu'à sa ré-ouverture par une société dirigée par des paysans et des bouchers de la région. Monsieur T est un des dirigeants. Il souligne la qualité de son travail: il choisit ses bêtes chez des éleveurs locaux, peut-être eux aussi dirigeants de l'abattoir. La souffrance des animaux est contre ses intérêts: s'il a payé le prix du marché pour un charolais, il veut que l'animal arrive à l'abattoir en bonne santé. Si un bovin, par exemple, arrive avec une patte cassée, c'est autant de viande non utilisable. Donc, il va perdre de l'argent. Puisque tous les animaux sont élevés dans la région, les trajets de l'élevage jusqu'à l'abattoir sont courts, une demi-heure maximum, ce qui réduit les risques d'accident ou de blessure.
Nous traversons la cour, qui est grande pour laisser de la place aux camions. A trois heures de l'après-midi il n'y a plus de camions, seulement de la silence. A l'horizon on peut voir les Monts du Forez, déjà couverts de neige. Sur les bâtiments en face les mots BOVINS et OVINS sont écrits. La visite va commencer par l'arrivée des bêtes.
En même temps que je le remarque, Monsieur T. m'indique le quai surélevé au niveau d'un camion, pour que les animaux ne descendent pas une rampe trop raide. L'arrivée est faite en douceur. Ils passent dans des couloirs selon leur espèce. Il y a une chaine d'abattage différente pour les cochons, pour les moutons, pour les veaux, et pour les grands animaux, bovins et chevaux. On tue très peu de chevaux ici. Il y a une boucherie chevaline à Lezoux, mais le boucher achète des carcasses ailleurs. Les petits animaux passent dans des enclos, les bovins attendent leur tour pour monter dans une sorte d'enclos métallique étroit.
Près de l'entrée se trouve une pièce où on tue les animaux en urgence. Il y a une espèce de brancard métallique sur roues, sur lequel on amène un animal blessé ou trop malade pour marcher. Déjà je suis impressionnée, après avoir lu les histoires de PETA des vaches non-ambulatoires abandonnées à une longue agonie dans la cour de l'abattoir.....
Nous sortons pour passer dans la partie du bâtiment où on tue les bêtes. On met des vêtements de protection (pour nous protéger, aussi bien que pour protéger l'abattoir). Charlotte, blouse et protège-chaussures jetables. On passe dans les chambres froides pour admirer les carcasses de charolais fraichement tués. Ils sont énormes ces animaux, des mammouths. Pendant un instant j'imagine nos ancêtres en train de tuer un mammouth, puis je vois la carcasse du charolais. Mammouth, charolais, mammouth, charolais...... Mon retour dans le passé s'arrête quand je vois par terre une paire d'oreilles. De charolais. On garde les oreilles pour des raisons de vache folle, comme preuve de non-folie. Nous entrons dans une chambre où sont pendus les petits corps des cochons, corps blancs et délicats commes les femmes de Barbe Bleue.
De retour aux bovins. On voit de l'autre côté l'enclos métallique étroit où on les tue. Le tueur est en face avec son pistolet. La tête de l'animal immobilisé sort de l'enclos. Une tige de métal pénêtre son crane, l'animal tombe en même temps que
le côté de l'enclos s'ouvre. Le corps glisse vers l'extérieur, on le soulève avec des chaines attachées aux pattes, et on le saigne. Ensuite il passe dans un autre endroit où on le dépèce. Je pense aux histoires de PETA où les vaches sont écorchées vivantes. Selon Monsieur T, ça ne peut pas arriver, au moins dans son abattoir. Il dit que c'est quasiment impossible que l'animal n'est pas tué par le pistolet.
(Ici je pense à Brigitte Bardot, qui, toujours jeune vedette du cinéma, allait être reçue par le président de la république (De Gaulle?). Les gardes l'ont empêchée d'entrer dans le palais de l'Elysée quand ils ont trouvé un pistolet d'abattage dans son sac à main. Elle voulait montrer au président pourquoi cette méthode de tuer devrait être utilisé dans les abattoirs français, que c'était un grand pas en avant pour le bien-être animal. Cette histoire, est-elle vraie ou bien est-ce que je l'ai inventée?)
Près de l'endroit où on tue les bovins se trouve une longue ligne d'enclos métalliques, comme des boxes à cheval mais très étroits, ne laissant pas de place pour se retourner. C'est ici que, vers 17 heures, on reçoit les bovins qui seront tués le lendemain. Ils ont de l'eau, mais ni nourriture, ni paille pour leur confort. Une longue nuit froide, angoissante. Monsieur T. explique: C'est la DSV (la Direction départementale des services vétérinaires) qui exige la présence des bovins la veille de leur abattage, pour qu'elle puisse faire des contrôles sanitaires pour détecter la présence de la maladie ESB (vache folle). Cependant, la DSV ne vient jamais faire des contrôles pour l'ESB. Cette souffrance supplémentaire est aussi inutile que cruelle. Pourquoi pas de nourriture? Ah, c'est mieux pour la bête être tuée à jeun, sinon sa mort peut être plus douloureuse. (Ce soir-là j'ai demandé à mes élèves d'anglais, des médecins, comment le fait de ne pas être à jeun rendrait la mort plus douloureuse. Ils ont rigolé; pour eux, c'est simplement une excuse de ne pas donner à manger aux animaux.)
Les seuls animaux vivants qu'on a vu dans cet abattoir, c'étaient des agneaux. On les a entendus avant de les voir, leur petites voix d'enfants appeurés levées vers un dieu sans pitié. Deux enclos pleins d'animaux. Ils ont entre 4 et 6 mois. Dans le premier enclos, un mâle essaie de faire l'amour avec tous ses congénères, qui ne partagent pas ses enthousiasmes. A six mois ils ne sont plus de petits agneaux, ils ressemblent plutôt aux adultes. Ils doivent passer la nuit à l'abattoir parce qu'on n'a pas eu le temps de les tuer aujourd'hui. On ne peut pas demander aux ouvriers de faire des heures supplémentaires. Plusieurs animaux sont couchés par terre, sur le beton. Il fera froid cette nuit, on ne pourrait pas mettre de la paille? Mais non, la DSV interdit la paille, ce n'est pas propre. On avait essayé de mettre de la sciure, mais la DSV ne l'a pas aimée non plus. De toute façon, leurs corps vont rechauffer le béton. Vous croyez ça vraiment Monsieur T? Ils ont de l'eau, mais comme les bovins, rien à manger, pour une mort plus pure. Une mort qui commencera par 4 ou 5 agneaux ensemble dans un enclos, on les attrapera un par un pour les étourdir avec des pinces électriques de chaque côté de la tête. La bible interdit de tuer un animal devant ses congénères. Pour les moutons c'est difficile de les séparer. Souvent les hommes qui transportent les moutons ont un mouton apprivoisé, qui mène les autres vers la mort. Je pense aux prisonniers dans les camps de concentration qui étaient obligés d'aider les Nazis. Ils ont fini dans les chambres à gaz aussi, comme le mouton traître finira sans doute égorgé.
On arrive à la fin de notre visite, et je me rappelle que je n'ai pas parlé du sang. On est arrivé à l'heure du nettoyage, un seul ouvrier est chargé de faire disparaître toutes les traces de la mort. Il chasse le sang avec un tuyau d'arrosage et beaucoup de désinfectant. A la fin de la visite il a fini son travail, quel abattoir propre! Cependant, l'odeur du sang est difficile à oublier.
Après ma visite à Lezoux, j'avais vraiment l'impression que ça doit être le meilleur abattoir du monde, peut-être parce que je n'ai pas vu d'animaux tués, et parce que Monsieur T. a su ne montrer que ses meilleurs aspects. En même temps, chaque moment de ma visite, j'étais consciente qu'ici on vole des vies. Même si leur mort est aussi rapide que possible, les animaux n'ont pas donné leur accord.
Merci quand même, Monsieur T., d'avoir pris le temps d'expliquer votre travail à une végétarienne ingrate.