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Monday, March 14, 2005

 

Mathilde

C'était il y a deux semaines, juste après notre démenagement. Anaïs et moi, nous nous promenions tôt le dimanche matin dans le parc des Salins (ce qui d'ailleurs, risque de devenir le site de la nouvelle gare routière, pour faire place à la nouvelle bibliothèque......). Anaïs a fait la connaissance d'un chow chow, un de ces chiens à la langue bleue. Son propriétaire en était très fier. C'était un homme mal rasé, avec une tête très oubliable, mais j'avais l'impression de le reconnaître. Depuis quelque temps j'oublie vite les visages, est-ce la même chose pour tout le monde qui a passé la cinquantaine? En tout cas cet homme a commencé à me parler, surtout pour critiquer les gens qui s'occupent mal de leurs animaux. Puis il voulait parler de lui. Il m'a raconté qu'il avait une ânesse, dont il avait été obligé de se séparer à cause de son démenagement. C'était le déclic.

- Et votre ânesse s'appellait-elle Mistinguette? Et avait-elle une compagne, une brébis nommée Mathilde?

L'homme avait l'air contrarié. Il doit avoir la mémoire bien plus mauvaise que la mienne. Surtout d'avoir oublié mon accent, qui est un peu particulier, euh, plutôt très anglais.

- Vous ne vous souvenez vraiment pas de moi? C'était moi qui avais acheté le filet pour protéger le visage de Mistinguette contre les mouches, qui pondaient leurs oeufs dans les plaies faites par la cloture en fil de fer...... Et la crême antiseptique aussi.

La gêne totale. Oui, maintenant il se souvient de moi. Pauvre Mistinguette, il ne pouvait pas s'occuper d'elle comme il fallait. Et puis, il avait vendu la maison à Ceyrat, il allait vivre en ville, il fallait trouver quelqu'un qui voulait s'occuper de l'ânesse.

- Mais tous les voisins voulaient s'occuper d'elle! Plusieurs d'entre nous ont parlé soit avec vous, soit avec votre femme......

- Ce n'était pas ma femme!

- Bon, désolée, avec la femme qui vivait chez vous. Au moins, vous l'avez vendue à un bon prix?

- Ah non, j'ai fini par la donner. A un professeur qui habite près de Rochefort Montagne.

-Et Mathilde?

- Ah non, il ne voulait pas prendre Mathilde. On l'a mise avec un troupeau de moutons.

- Mais elles étaient inséparables! En plus, Mathilde était très dégourdie, peut-être parce qu'elle vivait avec une ânesse, ou bien à cause de l'attention qu'elle recevait de tous les voisins. La remettre dans un troupeau de moutons avec l'abattoir comme destination, c'est fou!

- Qu'est-ce que vous voulez, c'est comme ça. Je n'y suis pour rien.

C'est comme ça qu'il voyait la situation - il n'est responsable de rien. En guise de lot de consolation, il m'a dit qu'il avait vu Mathilde, bon, il ne pouvait plus la reconnaître, mais de toute façon le troupeau est toujours là. Par contre, il ne voit pas souvent Mistinguette, son pré est difficile à trouver. La dernière fois qu'on l'a vue elle avait les sabots très longs. Non, il ne pouvait pas me donner l'adresse, il l'avait oubliée, au revoir, il faut se dépêcher.......

L'ironie de cette histoire: Nous essayons de donner des prénoms aux animaux d'élevage ou de boucherie pour les sortir de l'anonymat. Et voici Mathilde, baptisée depuis sa naissance, un personnage reconnu dans les chemins campagnards de Ceyrat, qui est jetée, comme vieille chose sans valeur, au milieu d'un troupeau qu'elle ne connait pas. Elle est devenue anonyme comme les autres; et comme elles, son seul avenir est l'abattoir.

Comments:
Jane, merci de raconter si bien les tragédies ordinaires.
 
Comme c'est triste...très triste.
 
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